Le phénomène de réactivation de cellules cancéreuses disséminées (DCC), pouvant rester dormantes durant de longues périodes, est connu, mais le rôle causal des processus inflammatoires n’était que suggéré. Pour la première fois, des chercheurs démontrent la capacité des infections respiratoires aiguës à réveiller des cellules cancéreuses dormantes métastasées dans le poumon chez des modèles murins de cancer du sein métastatique. Des résultats qui seraient cohérents avec l’augmentation du nombre de patients développant des métastases après une infection Covid, qu’ils ont par ailleurs observée dans deux analyses populationnelles. Leur étude est publiée dans Nature.
Dans un premier temps, l’équipe américaine a exposé des modèles de souris, atteintes d'un cancer du sein métastatique HR2+, au virus de la grippe ou au Sars-CoV-2 et a observé la réactivation des cellules dormantes (DCC) dans les poumons. Cela a entraîné une expansion « massive » des cellules en quelques jours et l’apparition de lésions métastatiques sous deux semaines. Trois à 15 jours post-infection, la charge métastatique a été multipliée par 100 à 1 000 fois, le nombre de cellules pulmonaires HER2+ restant élevé jusqu’à neuf mois. Ce phénomène n’a pas été retrouvé chez les souris exposées seulement au vaccin antigrippal.
« Les cellules cancéreuses dormantes sont comme des braises et les virus respiratoires sont le vent qui rallume les flammes », explique le Pr James DeGregori, auteur correspondant de l’étude, professeur de biochimie et génétique moléculaire à l’Université du Colorado Denver.
Un réveil déclenché par l’inflammation
L’infection respiratoire induit aussi une transition phénotypique des cellules : parmi les DCC dans les poumons des souris, le pourcentage de cellules HER2+ exprimant le marqueur Ki67 (phases du cycle mitotique) augmente dès trois jours post-infection et atteint un pic à neuf jours. Cela témoigne d’une accélération de la division cellulaire, typique de la prolifération cancéreuse.
Les analyses moléculaires ont révélé un rôle actif des interleukines-6 dans le réveil des DCC. L’implication de ces cytokines, produites en abondance durant une infection virale respiratoire, s’est confirmée quand les chercheurs ont utilisé des souris transgéniques Knock-Out pour les interleukines-6 : aucune activation de cellules dormantes n’a été constatée après l’infection par la grippe ou le Sars-CoV-2. « Des inhibiteurs d’interleukine-6 ou d’autres immunothérapies ciblées pourraient prévenir ou minimiser la résurgence des métastases après une infection virale », commente le Pr Julio Aguirre-Ghiso, coauteur de l’étude et professeur d’hématologie et d’oncologie à la Mount Sinaï School of Medicine (New-York).
Chez les humains, le risque de décès de cancer double après une infection Covid
Pour savoir ce qu’il en est chez l’humain, les chercheurs ont réalisé deux études populationnelles rétrospectives. La première, menée sur 5 000 patients de la UK Biobank survivants d’un cancer diagnostiqué au moins cinq ans avant la pandémie de Covid-19, donc en rémission probable, a mis en lumière un risque presque doublé de décès par cancer chez ceux qui avaient déjà été testés positifs au Sars-coV-2 (odds ratio OR = 1,85). L’effet était particulièrement prononcé dans la première année post-infection, ce qui rejoint les observations sur les souris d’une expansion métastatique rapide.
La seconde étude tire ses données de la U.S. Flatiron Health database qui recense 36 800 femmes touchées par un premier cancer du sein. Là encore, les patientes ayant eu une infection au Covid-19 avaient une probabilité plus importante de développer des métastases pulmonaires (Hazard ratio HR = 1,44).
« En comprenant les mécanismes sous-jacents, nous pourrons travailler à développer des interventions limitant le risque de progression métastatique chez les survivants de cancer ayant eu une infection respiratoire », indique le Pr DeGregori. Et d’ajouter : « Les infections respiratoires feront toujours partie de nos vies, nous devons donc en comprendre les conséquences à plus long terme. »
Un plaidoyer pour la vaccination
Dans une réaction sur le Science Media Centre, le Pr Andreas Berthalger, directeur de l’Institut d’hygiène et d’immunologie appliquée à l’Université de médecine de Vienne, qualifie les résultats « d’innovants et d’une potentielle grande pertinence clinique ». Il ajoute : « L’étude fournit des preuves mécanistiques de la manière dont les infections virales respiratoires réactivent les cellules dormantes disséminées et promeuvent la métastase. »
Il salue la pertinence de ces modèles murins qui « semblent particulièrement adaptés aux questions posées puisque la phase de dormance des cellules cancéreuses est longue, jusqu’à un an, ce qui reflète la situation chez l’humain ». De plus, « les voies de signalisation de l’IL-6 sont hautement conservées entre les souris et les humains ».
« La contribution d’une réponse inflammatoire causée par une infection chronique (hépatite C par exemple) au développement de cancer est déjà connue. La nouveauté et l’intérêt ici, sont que les infections respiratoires aiguës peuvent entraîner le développement de métastases médié par la réponse inflammatoire », commente le Pr Carsten Watzl, directeur de l’unité de recherche en immunologie du Leibniz Research Centre for Working Environment and Human Factors de Dortmund. L’expert appelle à « considérer sérieusement ces infections respiratoires. Les individus devraient se vacciner pour se protéger de la maladie et, espérons-le, de ses conséquences secondaires. »
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