LE QUOTIDIEN - Pour quelles raisons, la CGT a-t-elle choisi de participer à l'élaboration de ce projet de réforme de l'assurance-maladie ?
Bernard THIBAULT - Si la CGT a voulu être partie prenante, c'est parce qu'elle est l'une des organisations qui ont affirmé clairement, depuis le début, ne pas partager le choix de la maîtrise comptable des dépenses de santé. Nous nous sommes opposés au plan Juppé qui, en 1995, avait alimenté une confrontation dont chacun se souvient. Mais depuis, nous avons dit aussi que nous n'imaginions pas de solution alternative sans un dialogue poussé entre les représentants des assurés et des professionnels de santé, étant entendu que chacun avait des préoccupations différentes, mais qui n'empêchaient pas, pour autant, de travailler sur des convergences possibles. Ce long travail de confrontation des attentes et des besoins des professionnels de santé et des assurés sociaux débouche aujourd'hui sur une vision totalement alternative par rapport à ce qui se pratique depuis cinq ans.
Reconnaissance de l'acte médical
Les syndicats médicaux membres de ce groupe de travail soulignent que ce rapport est aussi une manière de s'opposer au processus d'étatisation du système. Partagez-vous ce point de vue ?
Tout à fait. La CGT a toujours contesté l'hypothèse d'une étatisation croissante des institutions de protection sociale. De ce point de vue, nous souhaiterions même beaucoup plus de légitimité dans la représentation des salariés, car la Sécurité sociale doit rester d'abord un outil au service des assurés sociaux. Nous proposons, par exemple, de revenir à des élections directes des administrateurs salariés dans les caisses de Sécurité sociale.
Quelles sont, pour la CGT, les avancées majeures de ce projet ?
Plusieurs principes forts sont affirmés dans le texte : une pratique médicale qui favorise réellement la qualité des soins ; une meilleure répartition de l'offre sur le territoire national, c'est-à-dire la volonté de résorber les inégalités géographiques et sociales d'accès aux soins ; il y a aussi une meilleure reconnaissance de l'acte médical, ce que je peux comprendre ; mais surtout, il y a un meilleur remboursement pour l'assuré social, ce qui est quelque chose de fondamental pour nous. En effet, même si le législateur a pris des dispositions particulières vis-à-vis de la population la plus exclue de notre pays, on ne peut pas considérer pour autant que les salariés aient aujourd'hui un véritable accès aux soins, en raison de la prise en charge insuffisante de l'acte médical.
Bref, si l'on additionne tous ces éléments - meilleure qualité des soins, meilleure couverture géographique, meilleure pratique médicale, meilleur remboursement pour le patient et réévaluation de l'acte médical pour le praticien -, on a là un ensemble cohérent qui représente une tout autre politique par rapport à ce qui a pu être défendu jusqu'à présent. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés.
Un accord politique et stratégique fort
A l'inverse, regrettez-vous certains aspects du projet tel qu'il est présenté ?
Pour l'instant, nous en sommes à la phase de consultation interne de chacun de nos adhérents dans les différentes organisations. Mais nous pensons être parvenus à un accord politique et stratégique suffisamment fort et étoffé pour le concrétiser. Cela dit, nous avons bien conscience que ce projet n'est qu'un étage de la fusée que représente la politique de santé globale de notre pays. Ce n'est pas uniquement par la réforme que nous suggérons, qui porte sur la pratique médicale et les relations entre les acteurs, que l'on va redéfinir l'ensemble de la politique de santé. Il reste un immense chantier qui touche notamment à la politique hospitalière, à la politique du médicament, et qui nécessite d'avoir d'autres acteurs autour de la table. Mais je pense que ce projet marque le début de la démonstration qu'il est possible de dessiner une autre politique de santé, plus efficace pour l'ensemble de la collectivité nationale. Cela représente un événement en soi.
Que répondez-vous à ceux qui disent que votre projet est extrêmement coûteux ?
Le système actuel en vigueur, c'est-à-dire la maîtrise dite « comptable », a fait la démonstration qu'il n'est absolument pas pertinent, et ce, même pour maîtriser les dépenses d'assurance-maladie d'un point de vue comptable. Si on ne changeait rien, je pense même que le système actuel continuerait, de manière exponentielle, à faire apparaître des dépenses sans cesse croissantes dans notre pays. Le projet que nous défendons aujourd'hui vise donc précisément à proposer rapidement une forme d'investissement financier - qui permette d'améliorer la qualité et de mieux répondre aux besoins - en estimant que, sur le long terme, le système sera plus avantageux, y compris économiquement. Le fait d'accroître la prévention, d'améliorer la qualité de la prestation médicale, de mieux couvrir les populations, d'insister sur la formation nous permet de penser que, à terme, même si on ne peut pas encore fixer ce terme, la collectivité nationale pourra réaliser une certaine économie par rapport aux sources de dépenses actuelles.
Considérez-vous cet accord politique comme une remise en cause de l'action de la CFDT, qui préside la CNAM ?
L'ensemble des interlocuteurs syndicaux étaient invités à participer à notre confrontation d'opinions en vue d'essayer de construire, tous ensemble, une vision alternative. Il y a les organisations qui ont répondu mais une confédération [la CFDT] n'a pas souhaité répondre à cette invitation. C'est regrettable. En même temps, rien n'empêche cette organisation de se positionner par rapport à notre travail collectif. Si d'aventure la CFDT souhaitait nous rejoindre pour la suite de l'élaboration du chantier, bien évidemment la porte n'est fermée à personne.
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