L 'ORDONNANCE rendue la semaine dernière par le juge Eric Halphen est une sorte de coup de Jarnac contre le chef de l'Etat : le juge, qui a fait à peu près tout ce qui était en son pouvoir pour impliquer Jacques Chirac dans les affaires de la ville de Paris, se déclare incompétent. Mais pour une seule raison : il estime que M. Chirac n'est plus à ses yeux un simple témoin, qu'il mérite sans doute d'être mis en examen et que, dès lors, seule la Haute Cour de justice est compétente pour instruire le dossier.
En somme, cela revient à dire que M. Halphen, soucieux de respecter le droit, a cessé de harceler le président, mais pour mieux le confondre. Un degré est franchi dans cette bataille judiciaire qui se déroule sous les yeux d'une France interloquée. Et nul ne peut dire aujourd'hui comment elle se terminera ni de quelle manière elle va peser sur l'élection présidentielle de 2002.
Des témoignages concordants
M. Chirac a de quoi être inquiet. La fameuse cassette vidéo où un homme mort et enterré, le désormais célèbre Claude Méry, grand entremetteur financier entre le RPR et les puissances franciliennes du bâtiment pendant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, accuse l'ancien maire de Paris d'avoir assisté personnellement à une remise de fonds au directeur de son cabinet, était spectaculaire mais invérifiable par définition, M. Méry ne pouvant être soumis à un contre-interrogatoire.
En revanche, les déclarations de François Ciolina, ex-numéro deux de l'Office des HLM de Paris, confirment les propos de Claude Méry, et apportent donc des indices nouveaux.
Patrick Devedjian, porte-parole du RPR, estime que le juge Halphen a commis une très grave erreur professionnelle quand il a convoqué Jacques Chirac pour l'auditionner. On sait que le chef de l'Etat n'a pas obtempéré et sans doute a-t-il bien fait. D'ailleurs, l'Elysée a approuvé la décision du juge de se déclarer incompétent.
Mais M. Halphen peut répondre qu'il a convoqué M. Chirac en tant que témoin et qu'il s'est dessaisi de l'affaire quand le président est devenu un suspect à ses yeux. L'Elysée ne peut pas nier que l'affaire a pris une tournure grave.
Pour le moment, la tactique de l'Elysée consiste à dénoncer la procédure, inconstitutionnelle selon M. Chirac, et à vilipender le juge. Lequel n'est pas dénué de travers, en dépit de sa discrétion et de rigueur apparentes : il n'a, c'est évident, jamais respecté le secret de l'instruction et il a savamment distillé des informations dans les médias pour faire avancer l'instruction.
Il demeure que la querelle sur le secret judiciaire est devenue dérisoire : la justice se sert de la presse pour faire son travail, en dépit de la menace du gouvernement de rétablir le droit en la matière. Et de toute façon, l'impéritie éventuelle du juge ne suffit pas à disculper le président. La question de fond ne concerne ni la procédure, ni le secret de l'instruction, ni les médias, mais la vérité telle que la justice doit la faire apparaître. Il est donc impossible de ne pas se poser la question : M. Chirac a-t-il, oui ou non, trempé dans les « affaires » de la ville de Paris ?
Le besoin de vérité
Le président de la République joue son va-tout en défiant les élus de se lancer dans une procédure sans précédents qui aura pour conséquence d'affaiblir les institutions. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis et, loin de nous satisfaire, la présence du président dans le prétoire de la Haute Cour nous troublerait tous profondément. Le député Arnaud Montebourg, qui fait métier d'abattre le président, n'a pas réussi à ce jour à réunir les 58 députés nécessaires à la convocation de la Haute Cour. Il n'est nullement encouragé par nombre de ses amis socialistes et encore moins par Lionel Jospin, qui ne souhaite pas gagner une élection par des moyens judiciaires dont l'utilisation ne grandirait ni ceux qui s'en serviraient ni ceux contre qui ils s'en serviraient.
Mais la France est une démocratie où le besoin de vérité finit par surmonter les craintes qu'inspirent les écueils placés sur le parcours qui y conduit. Le trouble causé par l'incertitude même surpasse, en définitive, le trouble provoqué par la pénible recherche des faits.
A supposer que le président soit complètement innocent, le seul fait qu'il passe devant la Haute Cour ruinerait ses chances à l'élection présidentielle. La classe politique, mais aussi tout le peuple, se tient au bord du gouffre en tentant de maîtriser son vertige et de ne pas y tomber.
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